Stratégie nationale de l’ESS : absence de consensus et report à 2026

Mercredi 19 novembre 2025, la réunion du Conseil Supérieur de l’Économie Sociale et Solidaire (CSESS) au ministère de l’Économie s’est soldée par un blocage. Les représentants du secteur ont refusé de valider la feuille de route présentée par le gouvernement, jugeant le texte en décalage avec les enjeux actuels. Le ministre Serge Papin a acté le renvoi des travaux au mois de mars prochain.

Une validation impossible

La séance, qui se tenait à Bercy, avait pour objectif principal l’approbation de la « Stratégie nationale de développement de l’ESS ». Ce document cadre doit répondre aux exigences de la Commission européenne, formulées dans son plan d’action de 2021, et devait être transmis à Bruxelles avant la fin de l’année.

Autour de la table, l’ensemble des corps intermédiaires était représenté : ESS France, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES), ainsi que les grandes familles du secteur (coopératives, mutuelles, associations, fondations).

Le texte soumis par l’administration n’a pas obtenu l’aval des parties prenantes. Selon plusieurs participants, le document a été jugé « inacceptable en l’état », entraînant une suspension du processus de validation.

Les points de blocage techniques

Le rejet de la feuille de route repose sur plusieurs griefs précis formulés par les têtes de réseau :

  • L’absence de moyens dédiés : les acteurs pointent un texte qui recense des dispositifs existants (comme le DLA ou Guid’Asso) sans proposer de nouvelles lignes budgétaires d’investissement, notamment pour la transition écologique des structures.
  • Le statu quo législatif : alors que le secteur réclame une loi de programmation pluriannuelle pour sécuriser ses financements et une révision de la loi Hamon de 2014, la stratégie présentée ne comporte aucun calendrier parlementaire.
  • La contradiction budgétaire : les représentants de l’ESS ont souligné l’incohérence entre cette stratégie de développement et les arbitrages du Projet de Loi de Finances (PLF) 2026, qui prévoit des réductions de crédits sur l’Insertion par l’Activité Économique (IAE) et les contrats aidés.

Un nouveau calendrier pour le ministère

Face à cette opposition unanime, Serge Papin, ministre des PME, du Commerce et de l’Artisanat, a dû revoir le calendrier. La transmission du document à la Commission européenne est officiellement différée.

Le ministre s’est engagé à rouvrir une phase de concertation pour amender le texte. L’objectif est désormais de présenter une nouvelle mouture, co-construite avec les acteurs, d’ici la fin du premier trimestre 2026. Cet épisode marque une tension notable dans les relations entre l’État et les acteurs de l’économie sociale, sur fond de contraintes budgétaires strictes.

Voici la deuxième partie de l’article, consacrée au diagnostic du secteur.

J’ai conservé le ton factuel et journalistique, en mettant en lumière les mécanismes économiques (effet ciseau, concurrence) plutôt que le simple ressenti émotionnel.


Diagnostic : un colosse aux pieds d’argile

Si la rupture politique de ce mois de novembre est spectaculaire, elle n’est que le symptôme d’un malaise plus profond. Au-delà des questions de gouvernance, l’Économie Sociale et Solidaire traverse une crise structurelle majeure. Analyse d’un secteur pris en étau entre une demande sociale explosive et un modèle économique à bout de souffle.

L’usure de « l’amortisseur social »

Pour comprendre la crispation des acteurs, il faut remonter le fil des cinq dernières années. Depuis 2020, les structures de l’ESS (associations, mutuelles, coopératives) ont joué un rôle de « digue » républicaine. Elles ont géré l’urgence sanitaire, amorti le choc inflationniste pour les ménages les plus précaires et pallier les carences des services publics dans les déserts médicaux.

En 2025, le constat est celui d’un épuisement généralisé. Les trésoreries sont exsangues, consommées par l’inflation des coûts de fonctionnement (énergie, matières premières) qui n’a pas été compensée par une indexation des dotations publiques. Le secteur vit un effet de ciseau brutal : ses charges explosent alors que ses recettes stagnent ou diminuent.

Le PLF 2026 : le détonateur

C’est dans ce contexte de fragilité que le Projet de Loi de Finances (PLF) pour 2026 a mis le feu aux poudres. Loin du « quoi qu’il en coûte », l’heure est au rabot budgétaire. Les arbitrages de Bercy ciblent spécifiquement des leviers vitaux pour le secteur :

  • Le coup d’arrêt à l’insertion : le secteur de l’IAE (Insertion par l’Activité Économique), fer de lance de la lutte contre le chômage de longue durée, subit un gel des crédits inédit. La baisse programmée de « l’aide au poste » (la subvention versée pour chaque salarié en insertion) menace directement l’équilibre financier des chantiers d’insertion.
  • La fin de l’exception « apprentissage » : jusqu’ici sanctuarisées, les aides à l’embauche d’alternants pour le secteur non-marchand sont supprimées, alors qu’elles perdurent pour certaines PME. Une mesure qui risque d’assécher le vivier de recrutement des associations.
  • Le recul du Fonjep : les crédits alloués aux postes Fonjep (qui permettent de co-financer des emplois dans l’éducation populaire et la cohésion sociale) sont revus à la baisse, fragilisant le tissu associatif local.

La crise des vocations et la concurrence du « profit »

Au-delà de l’aspect purement budgétaire, l’ESS affronte une crise existentielle sur deux autres fronts :

L’hémorragie des compétences

Le secteur peine à recruter et à fidéliser. Avec des salaires structurellement inférieurs à la moyenne du privé (environ -16 % à poste équivalent) et des conditions de travail souvent difficiles, les « métiers du sens » ne font plus recette. Les exclusions successives de certains professionnels des revalorisations du Ségur de la santé ont laissé des traces durables et un sentiment d’iniquité.

La concurrence de « l’impact »

Le secteur historique de l’ESS voit émerger une nouvelle concurrence : les sociétés commerciales à impact. Ces entreprises, qui adoptent les codes de l’ESS sans en avoir les contraintes (lucrativité limitée, gouvernance démocratique), captent une part croissante des marchés publics et des financements privés.

Les associations dénoncent une forme de distorsion de concurrence : les acteurs privés lucratifs se positionnent sur les segments rentables (formation, services à la personne solvables), laissant aux associations la charge des missions les plus lourdes et les moins financées (grande exclusion, handicap lourd).

Le bilan est paradoxal : jamais la société française n’a eu autant besoin des services de l’ESS pour répondre aux défis climatiques et sociaux, et jamais son modèle économique n’a été aussi menacé d’insolvabilité.

Quelques indicateurs clés :

❯  10 % du PIB : La contribution de l’ESS à la richesse nationale française (stable depuis 5 ans).

❯  2,4 millions de salariés : L’ESS représente 14 % de l’emploi salarié privé en France.


❯  200 000 établissements : Un maillage territorial unique, présent dans 100 % des communes, là où les services publics se retirent parfois.


❯  1 création sur 8 : L’entrepreneuriat social reste dynamique : 12,5 % des nouvelles entreprises naissent sous statut ESS.


❯  60 % des dépôts bancaires : la part de l’épargne des Français détenue par les banques coopératives.


❯  68 % de femmes : un secteur très féminisé, bien au-dessus de la moyenne nationale.


❯  40 % de dirigeantes : le plafond de verre résiste. Malgré une base féminine, les postes de présidence restent majoritairement masculins.


❯  – 16 % de salaire : l’écart de rémunération moyen avec le reste du secteur privé (à poste équivalent), cause majeure de la pénurie de main-d’œuvre.


❯  13 millions de bénévoles : La force de travail « invisible » qui tient le secteur associatif à bout de bras.


❯ 50 % des présidents ont +65 ans : un défi démographique majeur pour le renouvellement de la gouvernance associative d’ici 2030.

L’injonction paradoxale : une transformation silencieuse

Cette fragilité économique n’est pas le fruit du hasard, ni simplement la conséquence d’une mauvaise conjoncture. Elle est le résultat d’une lente tectonique des plaques entamée il y a plus de vingt ans. L’État a progressivement transformé son rapport au monde associatif, passant d’une logique de partenaire à celle de commanditaire, pour finir par celle de contrôleur fiscal.

  • La baisse des subventions : le tournant des années 2000

Si la tension est vive aujourd’hui, les racines sont profondes. Le changement de paradigme précède largement l’actuelle majorité. Il s’ancre au début des années 2000 avec la mise en œuvre de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances).

Cette réforme a introduit la « culture du résultat » dans l’action publique. Progressivement, la subvention de fonctionnement, qui finançait l’initiative associative et la vie de la structure, a cédé la place à la commande publique.

Le mécanisme s’est inversé : l’association ne propose plus un projet que l’État soutient ; c’est l’État (ou la collectivité) qui définit un besoin précis via des « appel à projets » auquel l’association doit répondre.

Cette évolution a forcé les structures à se professionnaliser et à recruter des gestionnaires pour répondre à des cahiers des charges complexes, amorçant leur transformation en prestataires de services parapublics.

  • L’accélération : du citoyen au « Social Business » (2017-2022)

L’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017 a agi comme un accélérateur de particules sur ce terreau déjà préparé. La suppression brutale des contrats aidés dès le début du premier quinquennat a envoyé un signal clair : le modèle historique assisté par l’État est révolu.

L’exécutif a alors théorisé le passage à une « ESS entrepreneuriale ». L’injonction faite aux associations a été d’« hybrider leurs ressources ». En clair : aller chercher du chiffre d’affaires sur le marché pour moins dépendre de la puissance publique.

De nouveaux outils financiers ont été promus, comme les Contrats à Impact Social (CIS). Dans cette logique, l’association n’est plus payée pour ses moyens, mais pour sa performance, mesurée par des indicateurs chiffrés (KPI), rapprochant encore un peu plus sa gestion de celle d’une entreprise classique.

Après avoir exhorté pendant des années le monde associatif à embrasser les codes de l’entreprise, l’État se retourne aujourd’hui contre ses meilleurs élèves. Dans les bureaux de la Direction générale des finances publiques, on ne fait pas de sentiment : on applique la règle.

L’administration a réinventé la grille des « 4 P » – Produit, Public, Prix, Publicité, cet outil marketing désormais détourner pour distinguer le désintéressement du lucre. Le piège est parfait : parce qu’elles ont obéi à l’injonction politique de devenir rentables pour survivre, les associations se retrouvent désormais dans le viseur des inspecteurs du fisc. Elles voulaient être des modèles de vertu entrepreneuriale ? Bercy les prend au mot et leur présente la note, comme à n’importe quelle société du CAC 40.

Zoom : La fiscalisation en chiffres (2024-2025)

Si Bercy reste discret sur les statistiques officielles, les remontées de terrain des têtes de réseau (Mouvement Associatif, CRESS) dessinent une tendance claire à l’accélération :

+ 25 % de contrôles : C’est la hausse estimée des contrôles fiscaux ciblant spécifiquement la « lucrativité » des associations entre 2023 et 2025.

1 contrôle sur 3 : Environ un tiers des contrôles sur les associations employeuses aboutit désormais à une remise en cause de l’intérêt général, entraînant une requalification commerciale (assujettissement TVA + IS).

45 000 € : C’est le montant moyen des redressements fiscaux (rappels de TVA sur 3 ans + pénalités) observés sur les petites structures (moins de 10 salariés). Une somme souvent synonyme de cessation de paiement immédiate.

15 % d’autocensure : Selon le dernier baromètre de la vie associative, 15 % des dirigeants associatifs déclarent avoir renoncé à développer une activité économique ou un projet innovant par peur de « basculer » dans la fiscalité commerciale.

L’Europe avance, la France marque le pas

Le fiasco de la réunion du 19 novembre résonne bien au-delà des murs de Bercy. En rejetant la copie du gouvernement, les acteurs de l’ESS mettent en lumière leur déclassement. Alors que la France faisait figure de pionnière mondiale il y a dix ans, elle semble aujourd’hui à contre-courant de la dynamique continentale : pendant que l’Europe investit, la France se retracte.

Un décalage réglementaire et financier

Il faut rappeler que la « Stratégie nationale » que Serge Papin tentait de faire signer n’est pas une simple initiative domestique, mais une obligation communautaire. En décembre 2021, la Commission européenne a adopté un Plan d’action pour l’économie sociale, imposant aux États membres de structurer le secteur pour en faire un pilier de la transition écologique.

La France est désormais hors délai. Le contenu « à coût constant » proposé par Bercy est en contradiction avec la recommandation du Conseil de l’UE de 2023, qui préconise un soutien financier direct pour permettre aux structures de changer d’échelle. La France se retrouve ainsi dans la position inconfortable du mauvais élève, proposant de l’austérité là où Bruxelles demande de l’investissement.

Le paradoxe français : l’Espagne prend le large

La situation est cruelle pour la diplomatie française. En 2014, avec la loi Hamon, Paris était le phare mondial de l’ESS, inspirant des législations jusqu’en Corée du Sud. Dix ans plus tard, ce « soft power » s’est effrité au profit de nos voisins qui ont changé de braquet.

La comparaison avec l’Espagne est la plus cinglante. Madrid a fait de l’économie sociale un pilier de sa stratégie industrielle nationale. Grâce à son plan « PERTE », le gouvernement espagnol a fléché plus de 800 millions d’euros de fonds européens (NextGenerationEU) spécifiquement vers la modernisation de ses coopératives. L’Allemagne et la Belgique suivent cette voie en sanctuarisant les financements dans la santé. La France, elle, rate le coche des financements européens structurants, gérant la pénurie quand les autres préparent l’avenir.

Le rendez-vous de la dernière chance

Le renvoi des travaux au mois de mars 2026 n’est donc pas qu’un simple aléa d’agenda. C’est un test de crédibilité politique.

Le gouvernement français se retrouve au pied du mur : il doit prouver qu’il est capable de redonner un souffle à un secteur qu’il a contribué à fragiliser. S’il revient dans trois mois avec la même copie « technocratique », sans ambition budgétaire et sans vision politique, la rupture avec le monde de l’ESS sera consommée. Et la France aura définitivement perdu son statut de modèle.

Chronologie : 5 décisions, une rupture

  • 9 août 2017 : Le gouvernement décide la réduction brutale des contrats aidés (passage de 459 000 à 200 000 en un an), privant du jour au lendemain des milliers de petites associations de leur unique salarié.
  • 16 mars 2021 : Bercy lance le premier appel à projets pour les Contrats à Impact Social (CIS), remplaçant la logique de subvention publique par une rémunération à la performance financée par des investisseurs privés.
  • 24 août 2021 : Promulgation de la loi confortant les principes de la République, qui instaure le Contrat d’Engagement Républicain (CER) et conditionne désormais toute subvention à un contrôle administratif accru des activités associatives.
  • 10 octobre 2025 : Le Projet de Loi de Finances 2026 gèle les crédits de l’Insertion par l’Activité Économique (IAE) et supprime les exonérations de charges pour l’apprentissage dans le non-marchand, rendant mécaniquement déficitaires des milliers de structures d’insertion.
  • 19 novembre 2025 : Le ministère de l’Économie refuse d’inscrire une Loi de programmation pluriannuelle dans la stratégie nationale, provoquant le blocage immédiat des négociations par l’ensemble des têtes de réseaux (ESS France, UDES).

Pour aller plus loin

Cette page recense des travaux et analyses consacrés à l’évaluation de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). Partant du constat d’une inadéquation entre les indicateurs de performance classiques et les spécificités de l’ESS (loi Hamon 2014), la page regroupe des travaux de recherche, des avis d’instances consultatives et des textes fondamentaux visant à définir des critères d’évaluation alternatifs. Elle alerte notamment sur les risques de normalisation induits par la « mesure d’impact » standardisée, souvent promue par des cabinets d’audit financier, qui tend à réduire l’utilité sociale à des données chiffrées dépolitisées. En convoquant des références historiques (Polanyi, Gide) et des analyses critiques contemporaines, le corpus encourage les acteurs à se réapproprier l’évaluation via des méthodes sur mesure et co-construites, garantes du respect des valeurs de solidarité et de transformation sociale.

Une nouvelle figure incontournable dans le paysage de la société civile : Tournons la page

« Tournons La Page » (TLP) est un mouvement citoyen international qui milite pour l’alternance démocratique en Afrique. Il regroupe près de 230 organisations de la société civile et mène des actions pacifiques et non partisanes dans une dizaine de pays africains. Ses objectifs incluent la promotion de la bonne gouvernance, la limitation des mandats présidentiels, le respect des constitutions et des libertés publiques, ainsi que la lutte contre la corruption. Le mouvement est devenu autonome en 2021, après avoir été initié par le Secours Catholique en 2014. Le mouvement est structuré en coalitions nationales autonomes, avec un secrétariat international basé à Paris.

TLP mène des actions de mobilisation citoyenne, de plaidoyer, de communication, de renforcement des compétences et de protection de ses membres. Le mouvement a organisé des caravanes de la démocratie, déployé des observateurs électoraux et publié des rapports dénonçant les violations des droits humains, les atteintes aux libertés publiques et la corruption.

La date du lancement, le 15 octobre 2014, est hautement symbolique. Elle coïncide avec le 27e anniversaire de la prise de pouvoir de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Ce timing a conféré à l’appel une résonance particulière, le positionnant comme un soutien direct aux citoyens burkinabés et un message d’alerte à l’échelle continentale.

De la campagne à l’institution : une autonomisation stratégique

La trajectoire de Tournons La Page depuis 2014 illustre une volonté délibérée de dépasser le stade de la simple campagne pour s’institutionnaliser et s’ancrer durablement. Cette évolution s’est déroulée en plusieurs étapes clés :

  • 2014-2019 : La phase de campagne. Durant ses premières années, TLP a fonctionné comme un collectif transnational, une alliance d’organisations mobilisées autour de l’appel de 2014. Cette période a permis de construire le réseau, de lancer les premières actions et de forger une identité commune.  
  • Janvier 2020 : La structuration en association internationale. Une étape décisive a été franchie avec la transformation du mouvement en une association internationale de droit français. Ce changement de statut a doté TLP d’une existence juridique propre et d’organes de décision formels. Le choix de porter à sa présidence Marc Ona Essangui, défenseur des droits humains gabonais et lauréat du prestigieux prix Goldman pour l’environnement, n’était pas anodin. Il signalait une volonté claire de placer le leadership du mouvement entre les mains d’une figure emblématique de la société civile africaine.  
  • 2021 : L’autonomisation complète. Le processus a culminé en 2021, lorsque TLP est devenu pleinement autonome vis-à-vis du Secours Catholique. L’organisation initiatrice, qui avait incubé et soutenu financièrement le mouvement à ses débuts, est alors devenue un membre et un partenaire parmi d’autres, actant le transfert complet de la gouvernance.  

    Ce processus a permis de renforcer considérablement la légitimité du mouvement sur le continent et de le prémunir contre les accusations récurrentes d’ingérence étrangère ou de néo-colonialisme, souvent utilisées par les régimes autoritaires pour discréditer les acteurs de la société civile.

Gouvernance et organisation interne


La Charte de Tournons La Page est le document de référence qui définit la vision, les missions et les valeurs du mouvement. Toute organisation ou individu souhaitant rejoindre TLP doit y adhérer, garantissant ainsi une cohésion idéologique au sein d’un réseau par ailleurs très hétérogène.

Basé à Paris , le Secrétariat International est l’organe technique et administratif qui soutient l’ensemble du réseau. Son rôle n’est pas de diriger mais de servir les coalitions

Le mouvement a connu une expansion géographique significative. Initialement présent dans sept pays , il opère aujourd’hui à travers des coalitions actives dans au moins quatorze pays africains, principalement francophones, mais pas exclusivement. On compte parmi eux le Burundi, le Cameroun, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Niger, la République Démocratique du Congo (RDC) et le Togo. Plus récemment, des coalitions ont vu le jour ou ont été intégrées au Bénin, au Malawi, au Mali, en Ouganda et au Sénégal. Une coalition TLP-Europe existe également pour relayer le plaidoyer sur le continent européen.

Les actions

Plaidoyer et Influence

Le plaidoyer est au cœur de l’action de TLP. Il vise à influencer les décideurs politiques nationaux, régionaux (Union Africaine, CEDEAO) et internationaux (Union Européenne, ONU, chancelleries occidentales) pour qu’ils prennent position contre les manipulations constitutionnelles et soutiennent les processus démocratiques. La principale méthode de TLP consiste à produire des rapports d’analyse et de documentation rigoureux, fondés sur des enquêtes de terrain

Mobilisation Citoyenne

Le second pilier est l’action directe sur le terrain, visant à éveiller les consciences et à mobiliser les citoyens. Conformément à sa charte, TLP privilégie exclusivement des actions pacifiques et non-violentes. Le répertoire de mobilisation est large et créatif

Renforcement des Capacités

Conscient que la force d’un réseau réside dans la compétence de ses membres, TLP a fait du renforcement des capacités un axe stratégique majeur. L’objectif est de consolider le mouvement de l’intérieur en s’assurant que les organisations membres et les militants disposent des outils nécessaires pour mener leurs actions efficacement et en sécurité.

Protection des Membres

L’engagement pour la démocratie dans des contextes autoritaires expose les militants à des risques considérables : arrestations arbitraires, harcèlement judiciaire, menaces, voire violences physiques. La protection de ses membres est donc devenue une priorité absolue et une composante essentielle de la stratégie de TLP.

Ce cycle, où l’action efficace engendre une répression qui à son tour alimente un plaidoyer plus fort, est une caractéristique fondamentale de la maturité stratégique de Tournons La Page.

Pour en savoir plus :

Grille alternative d’évaluation de partenariat avec la société civile

Outil d’évaluation de la qualité du soutien des Organisations Internationales à la Société Civile

Cette grille d’analyse est un outil conçu pour aller au-delà des évaluations quantitatives traditionnelles. Elle vise à mesurer la qualité profonde et le potentiel transformateur d’un partenariat entre une Organisation Internationale (OI) et une Organisation de la Société Civile (OSC).

Inspirée par une réflexion sur la complexité, le décentrement et l’équilibre des pouvoirs, elle sert un double objectif :

  • Pour les OSC : Évaluer si l’approche d’une OI est alignée avec leurs propres valeurs de souveraineté et d’autonomie.
  • Pour les OI : Mener une auto-évaluation critique de leurs pratiques pour favoriser des partenariats plus justes, plus flexibles et ayant un impact durable.

C’est un instrument destiné à catalyser le dialogue et à encourager des relations qui renforcent réellement la société civile.

Pour accéder au tableau

En bref :

Cette grille d’analyse qualitative est conçue pour évaluer la profondeur et l’équilibre des partenariats entre les Organisations Internationales (OI) et les Organisations de la Société Civile (OSC). En examinant les dynamiques de pouvoir, la co-construction des projets, la flexibilité du soutien et le respect de l’autonomie stratégique de l’OSC, il dépasse les métriques quantitatives traditionnelles. Il appuie à la fois les OSC, pour mesurer l’alignement d’un partenaire avec leurs valeurs, et les OI, comme un instrument d’auto-évaluation pour bâtir des relations plus justes et des partenariats plus durables. L’objectif final est de catalyser un dialogue constructif pour forger des alliances qui renforcent véritablement le pouvoir d’agir et la souveraineté de la société civile.

Pour aller plus loin

Voir également :

Soutien et accompagnement des Organisations de la société civile par le ministère des Affaires Etrangères

Dans le document d’orientation stratégique société civile et engagement citoyen 2023-2027, le ministère des Affaires Etrangères s’engage à approfondir son partenariat avec la société civile, soutenir tous ses acteurs et les accompagner au quotidien.

Nous vous proposons ci-dessous 10 indicateurs clés afin de mesurer ces engagements :

  1. Nombre d’OSC bénéficiant d’un soutien financier direct du ministère.
  2. Montant total de l’aide publique au développement transitant par les OSC.
  3. Nombre de consultations formelles organisées avec les OSC sur les politiques de développement.
  4. Nombre de pays où le ministère a activement soutenu un environnement favorable aux OSC.
  5. Nombre de partenariats stratégiques établis entre le ministère et les OSC.
  6. Nombre de jeunes engagés dans des programmes de volontariat international soutenus par le ministère.
  7. Nombre d’initiatives d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI) financées.
  8. Pourcentage de projets financés impliquant des partenariats entre OSC françaises et locales.
  9. Nombre d’OSC francophones soutenues dans leur participation à des forums internationaux.
  10. Taux de satisfaction des OSC concernant leur dialogue avec le ministère (mesuré par enquête annuelle).

En complément, cet index qualitatif :

  • Qualité du dialogue avec les OSC

Évaluation par les OSC de la qualité des consultations organisées par le MEAE

  • Capacité des OSC à influencer les politiques publiques

Mesure de la perception des OSC sur leur capacité à co-construire les politiques publiques avec le MEAE.
Orientation de politiques publiques suite aux recommandations des OSC

  • Innovation dans les approches soutenues

Analyse qualitative des projets financés pour identifier ceux intégrant des approches innovantes (technologiques, sociales, environnementales).

Mesure de l’intégration d’approches créatives pour repenser les liens entre acteurs du développement (OSC, citoyens, institutions).

  • Diversité des acteurs impliqués

Analyse qualitative de la diversité des acteurs de la société civile impliqués 

Répartition des financements entre OSC de différentes tailles ou secteurs d’engagements

  • Efficacité des mécanismes de financement

Analyse qualitative de la flexibilité et de l’accessibilité des mécanismes financiers pour les OSC.

Flexibilité des modalités de financement (durée, adaptabilité aux contextes changeants)

  • Qualité des partenariats multi-acteurs

Études qualitatives sur la collaboration entre OSC, secteur privé et administration publique dans le cadre des projets soutenus.

Mesure de la capacité des OSC et du ministère à co-créer des projets fondés sur l’écoute mutuelle et le respect des savoirs locaux.

  • Justice sociale et inclusion

    Analyse qualitative de l’impact des actions sur les populations marginalisées ou oubliées.

Analyse des rapports de pouvoir Nord-Sud dans les partenariats soutenus

  • Circulation et partage des savoirs

    Mesure de la capacité des projets à créer des espaces d’échange entre territoires et cultures.

    Émergence d’expertises locales reconnues issues du renforcement de capacités

    Transparence dans les « échecs » et capacité d’apprentissage de la stratégie
  • Durabilité

Pérennité des actions des OSC soutenues deux ans après la fin du soutien initial
Pérennité des mécanismes de dialogue au-delà des cycles politiques

  • Impact

    Recolte des effets négatif ou imprévu du soutien français aux OSC locales

Événements

 17 au 20 mars 2025, Semaine de la Société Civile 2025 du CESE

 Semaine de la Société Civile 2025 du CESE

La Semaine de la Société Civile 2025 est un événement qui se déroule à Bruxelles, du 17 au 20 mars 2025. Cette seconde édition a pour thème central « Renforcer la cohésion et la participation dans des sociétés polarisées » (Strengthening cohesion and participation in polarised societies).

26-27 mars 2025 Centre de conférence de l’OCDE, Paris, France
Forum mondial sur l’intégrité et la lutte anti-corruption 2025, L’innovation au service de nouvelles avancées

Le Forum mondial 2025 de l’OCDE sur l’intégrité et la lutte anti-corruption réunira des responsables des pouvoirs publics, des entreprises et de la société civile pour étudier le rôle des technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle (IA), l’analyse des données et les analyses forensiques numériques, dans la lutte contre la corruption, le renforcement de l’intégrité et une meilleure application des lois. Le Forum mettra l’accent sur le rôle du secteur privé en tant que partenaire essentiel dans les efforts de lutte anti-corruption, en examinant comment les partenariats public-privé et les solutions technologiques peuvent améliorer le devoir de vigilance de la chaîne d’approvisionnement et prévenir la fraude. 

Société Civile

La société civile est multiple et fragmentée. De la richesse de cette diversité émane également ses principales limites. Des points de vue foisonnants et la difficulté d’invoquer une société civile organisée.

« Notion ouverte, la société civile est I’objet d’une perpétuelle redéfinition. »[1]

Nous nous rangerons, pour l’édition de ces quelques pages, derrière la définition du Comité économique et social européen (1999) :

« l’ensemble de toutes les structures organisationnelles dont les membres servent l’intérêt général par le biais d’un processus démocratique basé sur le discours et le consensus, et jouent également le rôle de médiateurs entre les pouvoirs publics et les citoyens. »[2]

Tout en gardant à l’esprit celle d’Antonio Gramsci :

« hégémonie qu’un groupe social exerce sur la société nationale dans son entier par le moyen d’organisations prétendument privées, comme l’église, les syndicats, les écoles, etc »[3]

[1] « Société civile : histoire d’un mot », François Rangeon, La société civile, PUF, 1986, pp 9-32.

[2] La société civile organisée au niveau européen, Actes de la première Convention, Bruxelles, 15 et 16 octobre 1999

[3] Antonio Gramsci (1891-1937), Lettres de prison : deuxième partie