Une nouvelle figure incontournable dans le paysage de la société civile : Tournons la page

« Tournons La Page » (TLP) est un mouvement citoyen international qui milite pour l’alternance démocratique en Afrique. Il regroupe près de 230 organisations de la société civile et mène des actions pacifiques et non partisanes dans une dizaine de pays africains. Ses objectifs incluent la promotion de la bonne gouvernance, la limitation des mandats présidentiels, le respect des constitutions et des libertés publiques, ainsi que la lutte contre la corruption. Le mouvement est devenu autonome en 2021, après avoir été initié par le Secours Catholique en 2014. Le mouvement est structuré en coalitions nationales autonomes, avec un secrétariat international basé à Paris.

TLP mène des actions de mobilisation citoyenne, de plaidoyer, de communication, de renforcement des compétences et de protection de ses membres. Le mouvement a organisé des caravanes de la démocratie, déployé des observateurs électoraux et publié des rapports dénonçant les violations des droits humains, les atteintes aux libertés publiques et la corruption.

La date du lancement, le 15 octobre 2014, est hautement symbolique. Elle coïncide avec le 27e anniversaire de la prise de pouvoir de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Ce timing a conféré à l’appel une résonance particulière, le positionnant comme un soutien direct aux citoyens burkinabés et un message d’alerte à l’échelle continentale.

De la campagne à l’institution : une autonomisation stratégique

La trajectoire de Tournons La Page depuis 2014 illustre une volonté délibérée de dépasser le stade de la simple campagne pour s’institutionnaliser et s’ancrer durablement. Cette évolution s’est déroulée en plusieurs étapes clés :

  • 2014-2019 : La phase de campagne. Durant ses premières années, TLP a fonctionné comme un collectif transnational, une alliance d’organisations mobilisées autour de l’appel de 2014. Cette période a permis de construire le réseau, de lancer les premières actions et de forger une identité commune.  
  • Janvier 2020 : La structuration en association internationale. Une étape décisive a été franchie avec la transformation du mouvement en une association internationale de droit français. Ce changement de statut a doté TLP d’une existence juridique propre et d’organes de décision formels. Le choix de porter à sa présidence Marc Ona Essangui, défenseur des droits humains gabonais et lauréat du prestigieux prix Goldman pour l’environnement, n’était pas anodin. Il signalait une volonté claire de placer le leadership du mouvement entre les mains d’une figure emblématique de la société civile africaine.  
  • 2021 : L’autonomisation complète. Le processus a culminé en 2021, lorsque TLP est devenu pleinement autonome vis-à-vis du Secours Catholique. L’organisation initiatrice, qui avait incubé et soutenu financièrement le mouvement à ses débuts, est alors devenue un membre et un partenaire parmi d’autres, actant le transfert complet de la gouvernance.  

    Ce processus a permis de renforcer considérablement la légitimité du mouvement sur le continent et de le prémunir contre les accusations récurrentes d’ingérence étrangère ou de néo-colonialisme, souvent utilisées par les régimes autoritaires pour discréditer les acteurs de la société civile.

Gouvernance et organisation interne


La Charte de Tournons La Page est le document de référence qui définit la vision, les missions et les valeurs du mouvement. Toute organisation ou individu souhaitant rejoindre TLP doit y adhérer, garantissant ainsi une cohésion idéologique au sein d’un réseau par ailleurs très hétérogène.

Basé à Paris , le Secrétariat International est l’organe technique et administratif qui soutient l’ensemble du réseau. Son rôle n’est pas de diriger mais de servir les coalitions

Le mouvement a connu une expansion géographique significative. Initialement présent dans sept pays , il opère aujourd’hui à travers des coalitions actives dans au moins quatorze pays africains, principalement francophones, mais pas exclusivement. On compte parmi eux le Burundi, le Cameroun, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Niger, la République Démocratique du Congo (RDC) et le Togo. Plus récemment, des coalitions ont vu le jour ou ont été intégrées au Bénin, au Malawi, au Mali, en Ouganda et au Sénégal. Une coalition TLP-Europe existe également pour relayer le plaidoyer sur le continent européen.

Les actions

Plaidoyer et Influence

Le plaidoyer est au cœur de l’action de TLP. Il vise à influencer les décideurs politiques nationaux, régionaux (Union Africaine, CEDEAO) et internationaux (Union Européenne, ONU, chancelleries occidentales) pour qu’ils prennent position contre les manipulations constitutionnelles et soutiennent les processus démocratiques. La principale méthode de TLP consiste à produire des rapports d’analyse et de documentation rigoureux, fondés sur des enquêtes de terrain

Mobilisation Citoyenne

Le second pilier est l’action directe sur le terrain, visant à éveiller les consciences et à mobiliser les citoyens. Conformément à sa charte, TLP privilégie exclusivement des actions pacifiques et non-violentes. Le répertoire de mobilisation est large et créatif

Renforcement des Capacités

Conscient que la force d’un réseau réside dans la compétence de ses membres, TLP a fait du renforcement des capacités un axe stratégique majeur. L’objectif est de consolider le mouvement de l’intérieur en s’assurant que les organisations membres et les militants disposent des outils nécessaires pour mener leurs actions efficacement et en sécurité.

Protection des Membres

L’engagement pour la démocratie dans des contextes autoritaires expose les militants à des risques considérables : arrestations arbitraires, harcèlement judiciaire, menaces, voire violences physiques. La protection de ses membres est donc devenue une priorité absolue et une composante essentielle de la stratégie de TLP.

Ce cycle, où l’action efficace engendre une répression qui à son tour alimente un plaidoyer plus fort, est une caractéristique fondamentale de la maturité stratégique de Tournons La Page.

Pour en savoir plus :

Grille alternative d’évaluation de partenariat avec la société civile

Outil d’évaluation de la qualité du soutien des Organisations Internationales à la Société Civile

Cette grille d’analyse est un outil conçu pour aller au-delà des évaluations quantitatives traditionnelles. Elle vise à mesurer la qualité profonde et le potentiel transformateur d’un partenariat entre une Organisation Internationale (OI) et une Organisation de la Société Civile (OSC).

Inspirée par une réflexion sur la complexité, le décentrement et l’équilibre des pouvoirs, elle sert un double objectif :

  • Pour les OSC : Évaluer si l’approche d’une OI est alignée avec leurs propres valeurs de souveraineté et d’autonomie.
  • Pour les OI : Mener une auto-évaluation critique de leurs pratiques pour favoriser des partenariats plus justes, plus flexibles et ayant un impact durable.

C’est un instrument destiné à catalyser le dialogue et à encourager des relations qui renforcent réellement la société civile.

Pour accéder au tableau

En bref :

Cette grille d’analyse qualitative est conçue pour évaluer la profondeur et l’équilibre des partenariats entre les Organisations Internationales (OI) et les Organisations de la Société Civile (OSC). En examinant les dynamiques de pouvoir, la co-construction des projets, la flexibilité du soutien et le respect de l’autonomie stratégique de l’OSC, il dépasse les métriques quantitatives traditionnelles. Il appuie à la fois les OSC, pour mesurer l’alignement d’un partenaire avec leurs valeurs, et les OI, comme un instrument d’auto-évaluation pour bâtir des relations plus justes et des partenariats plus durables. L’objectif final est de catalyser un dialogue constructif pour forger des alliances qui renforcent véritablement le pouvoir d’agir et la souveraineté de la société civile.

Pour aller plus loin

Voir également :

Soutien et accompagnement des Organisations de la société civile par le ministère des Affaires Etrangères

Dans le document d’orientation stratégique société civile et engagement citoyen 2023-2027, le ministère des Affaires Etrangères s’engage à approfondir son partenariat avec la société civile, soutenir tous ses acteurs et les accompagner au quotidien.

Nous vous proposons ci-dessous 10 indicateurs clés afin de mesurer ces engagements :

  1. Nombre d’OSC bénéficiant d’un soutien financier direct du ministère.
  2. Montant total de l’aide publique au développement transitant par les OSC.
  3. Nombre de consultations formelles organisées avec les OSC sur les politiques de développement.
  4. Nombre de pays où le ministère a activement soutenu un environnement favorable aux OSC.
  5. Nombre de partenariats stratégiques établis entre le ministère et les OSC.
  6. Nombre de jeunes engagés dans des programmes de volontariat international soutenus par le ministère.
  7. Nombre d’initiatives d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI) financées.
  8. Pourcentage de projets financés impliquant des partenariats entre OSC françaises et locales.
  9. Nombre d’OSC francophones soutenues dans leur participation à des forums internationaux.
  10. Taux de satisfaction des OSC concernant leur dialogue avec le ministère (mesuré par enquête annuelle).

En complément, cet index qualitatif :

  • Qualité du dialogue avec les OSC

Évaluation par les OSC de la qualité des consultations organisées par le MEAE

  • Capacité des OSC à influencer les politiques publiques

Mesure de la perception des OSC sur leur capacité à co-construire les politiques publiques avec le MEAE.
Orientation de politiques publiques suite aux recommandations des OSC

  • Innovation dans les approches soutenues

Analyse qualitative des projets financés pour identifier ceux intégrant des approches innovantes (technologiques, sociales, environnementales).

Mesure de l’intégration d’approches créatives pour repenser les liens entre acteurs du développement (OSC, citoyens, institutions).

  • Diversité des acteurs impliqués

Analyse qualitative de la diversité des acteurs de la société civile impliqués 

Répartition des financements entre OSC de différentes tailles ou secteurs d’engagements

  • Efficacité des mécanismes de financement

Analyse qualitative de la flexibilité et de l’accessibilité des mécanismes financiers pour les OSC.

Flexibilité des modalités de financement (durée, adaptabilité aux contextes changeants)

  • Qualité des partenariats multi-acteurs

Études qualitatives sur la collaboration entre OSC, secteur privé et administration publique dans le cadre des projets soutenus.

Mesure de la capacité des OSC et du ministère à co-créer des projets fondés sur l’écoute mutuelle et le respect des savoirs locaux.

  • Justice sociale et inclusion

    Analyse qualitative de l’impact des actions sur les populations marginalisées ou oubliées.

Analyse des rapports de pouvoir Nord-Sud dans les partenariats soutenus

  • Circulation et partage des savoirs

    Mesure de la capacité des projets à créer des espaces d’échange entre territoires et cultures.

    Émergence d’expertises locales reconnues issues du renforcement de capacités

    Transparence dans les « échecs » et capacité d’apprentissage de la stratégie
  • Durabilité

Pérennité des actions des OSC soutenues deux ans après la fin du soutien initial
Pérennité des mécanismes de dialogue au-delà des cycles politiques

  • Impact

    Recolte des effets négatif ou imprévu du soutien français aux OSC locales

Événements

 17 au 20 mars 2025, Semaine de la Société Civile 2025 du CESE

 Semaine de la Société Civile 2025 du CESE

La Semaine de la Société Civile 2025 est un événement qui se déroule à Bruxelles, du 17 au 20 mars 2025. Cette seconde édition a pour thème central « Renforcer la cohésion et la participation dans des sociétés polarisées » (Strengthening cohesion and participation in polarised societies).

26-27 mars 2025 Centre de conférence de l’OCDE, Paris, France
Forum mondial sur l’intégrité et la lutte anti-corruption 2025, L’innovation au service de nouvelles avancées

Le Forum mondial 2025 de l’OCDE sur l’intégrité et la lutte anti-corruption réunira des responsables des pouvoirs publics, des entreprises et de la société civile pour étudier le rôle des technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle (IA), l’analyse des données et les analyses forensiques numériques, dans la lutte contre la corruption, le renforcement de l’intégrité et une meilleure application des lois. Le Forum mettra l’accent sur le rôle du secteur privé en tant que partenaire essentiel dans les efforts de lutte anti-corruption, en examinant comment les partenariats public-privé et les solutions technologiques peuvent améliorer le devoir de vigilance de la chaîne d’approvisionnement et prévenir la fraude. 

Société Civile

La société civile est multiple et fragmentée. De la richesse de cette diversité émane également ses principales limites. Des points de vue foisonnants et la difficulté d’invoquer une société civile organisée.

« Notion ouverte, la société civile est I’objet d’une perpétuelle redéfinition. »[1]

Nous nous rangerons, pour l’édition de ces quelques pages, derrière la définition du Comité économique et social européen (1999) :

« l’ensemble de toutes les structures organisationnelles dont les membres servent l’intérêt général par le biais d’un processus démocratique basé sur le discours et le consensus, et jouent également le rôle de médiateurs entre les pouvoirs publics et les citoyens. »[2]

Tout en gardant à l’esprit celle d’Antonio Gramsci :

« hégémonie qu’un groupe social exerce sur la société nationale dans son entier par le moyen d’organisations prétendument privées, comme l’église, les syndicats, les écoles, etc »[3]

[1] « Société civile : histoire d’un mot », François Rangeon, La société civile, PUF, 1986, pp 9-32.

[2] La société civile organisée au niveau européen, Actes de la première Convention, Bruxelles, 15 et 16 octobre 1999

[3] Antonio Gramsci (1891-1937), Lettres de prison : deuxième partie